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Evelyne Winocq Debeire
Evelyne Winocq Debeire
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18 décembre 2012

EVELYNE-WINOCQ DEBEIRE : EPAISSEURS ET CLARTES

EVELYNE-WINOCQ DEBEIRE : EPAISSEURS ET CLARTES

par Jean-Paul Gavard-Perret

 

©Evelyne Winocq-Debeire
winocq-debeireDans l’œuvre d’Evelyne-Winocq Debeire la surface se dérobe de manière paradoxale et selon deux modalités. Surface des apparences et surface lisse de la toile sont annihilées par exaspération (séductrice) de la matière peinture elle-même. Le miroitant émerge du granuleux. L’épaisseur n’est donc pas refoulée – au contraire. Chaque toile désigne une zone liminale, un état tremblé qui recoupent l'encore et le déjà. La peinture enflamme, hérisse en des ressemblances qui n’en sont plus. Face à ce qui se dérobe demeurent les aspérités  de ce qui devient présence mais présence disloquée, déplacée, séparée.

On peut donc parler d'éclats, de textures. De coutures et de déchirures. Bref du lieu de la réparation et de la séparation. D'espaces aussi superbement abîmés. Des orages grondent dans les couleurs en fusion et effusion selon une technique qui fait le lien entre la tradition et la post-modernité. Tout est à la fois proche et  lointain. Des possibles comme des impossibles affleurent. Evelyne Winocq-Debeire crée les perspectives insondables où se cachent des blessures dont on ne saura rien. La surface  aussi irritée que miroitante  est capable d’explorer divers symptômes de la vie par les flots de matière torturée.

La peinture est bien plus qu’une simple image. Elle devient re-montrance. Elle jette le trouble par sa puissance, ses risques, ses équilibres subtils. Si bien que le regardeur se demande comment tant de possibles peuvent affleurer. Reprenant la picturalité où Eugène Leroy l’avait laissé l’artiste la pousse plus loin, dans le silence. Reste  un rayonnement qui efface les pensées de néant mais la paix n’est pas pour autant présente. Evelyne Winocq-Debeire réintroduit sinon à l’origine mais à l’enfance du monde. A savoir au désir d’exister mais avec gravité comme l’illustre par exemple sa crucifixion. Celle-ci ne pâlit pas face à celles qui l’ont précédé chez Rouault, Picasso, Bacon Dix, De Kooning, Guttuso, Sutherland ou Saura.

Dans les œuvres de l’artiste un secret demeure toujours caché. Il est présente à fleur peau, à fleur de chair. Mais demeure un seuil infranchissable si bien qu’il ne nous est pas donné de connaître l’énigme. Chaque toile ouvre des perspectives et des profondeurs insondables avec bon nombre de failles. Elles font de tout horizon une sorte de ventre ouvert par lequel « s’entend » l'inaudible en soi et dans le monde. Le lieu vénitien par exemple est traité loin de la légèreté coutumière qu’il a trop souvent inspirée.

Chaque toile dans sa densité de matière se nourrit aussi de ses interstices, de ses impasses. De solitude, d’abandon, de rencontre. De plaies et de plaisirs, de charges et de décharges. Il s’agit de défaire les plis du corps et du paysage par les strates de couleurs profondes, parfois sombres et parfois plus claires. Des formes impossibles s’épanouissent tels d’étranges soleils noirs. Il en va de la vie même au cœur d’un lyrisme grave et « matiériste ».

L’artiste crée des tensions rythmiques aussi expressionnistes qu’impressionnistes. Il s’agit donc d’une peinture existentielle à forte composante sensuelle. La forme et la couleur deviennent connaissance du plus intime qui implique de la part de l’artiste un engagement physique total.  Au monde instrumentalisé elle oppose un univers généreux, entier et profond d’un sang que renouvelle chaque fois l’acte de création. La couleur et la matière rendent à leur plénitude expressive les corps, les lieux  et leur parenté avec l’impensable.

Au sein d’architectures subtiles d’éléments plans, quasi volumétriques et chromatiques se constitue le lieu même où voir à lieu. C’est là le signe de la peinture majeure en tant qu’expérience rare et des limites. Le monde palpite dans ses profondeurs. La lumière se fonde sur une dialectique parfaite entre l’enfoui et le révélé. Le monde des formes claires et articulées se trouve aboli. Cela permet non une angoisse mais un effet de vérité phénoménologique. Si l’ombre se lève, elle ne peut plus envelopper. Des bords se déplacent et viennent nous atteindre par delà le réel comme l’étrangeté même.

 

 

Jean-Paul Gavard-Perret
Jean-Paul.Gavard-Perret@univ-savoie.fr

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Né en 1947 à Chambéry, Jean-Paul Gavard-Perret est maître de conférence en communication à l´Université de Savoie. Il poursuit une réflexion littéraire ponctuée déjà d'une vingtaine d'ouvrages et collabore à plusieurs revues.
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